L'histoire de la marque Libéria |
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Libéria : "La grande marque des Alpes françaises" |
Par Pierre Astier et Didier Mahistre, |
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Les traces écrites de l'histoire de la marque Libéria ont malheureusement disparu avec la destruction progressive des archives. Autre difficulté, les Ets Libéria ont été avares de publicité, les catalogues ne sont pas tous datés, les références inscrites sont celles de l'usine en fonction des options, sans aucun lien avec le nom ou le type commercial... Tout ceci contribue à rendre très incertaine la chronologie historique. Nos sources ont été essentiellement les souvenirs collectés tant chez les derniers propriétaires de la marque, notamment Gérard Biboud, que chez les pilotes ou les collectionneurs. Toutefois, certains faits sont avérés, et, en conséquence, datés. |
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Les origines |
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Antoine Biboud, né en 1882 à Grenoble. Apprenti serrurier, puis Directeur d'étude chez Magnat & Debon, et capitaine des pompiers de la ville de Grenoble. 1897 : Antoine Biboud intègre les Ets Faure et Ricou comme apprenti serrurier. Ces établissements fabriquent des cycles. Ils deviendront un auto-garage agent Citroën à Grenoble. Voir note. 1900 : Antoine Biboud quitte les Ets Faure et Ricou dont l'activité se tourne exclusivement vers l'automobile. Il entre chez Magnat, constructeur, au 71 cours Saint-André, et en deviendra le directeur du Bureau d'Etudes des Cycles. Ce que nous pouvons dire, c'est que la rencontre avec Joseph Magnat va être le point de départ de l'étude des changements de vitesses chez Magnat. Ces études se concrétisent par un système de rétropédalage (la rétro directe à une chaîne), par un système par boîte de pédalier à engrenages à deux et trois vitesses ou par un moyeu arrière à 3 vitesses. En 1905, c'est la consécration avec le premier prix du concours organisé par Touring Club de France sur la route Grenoble-Chambéry en passant par les cols de Porte, du Cucheron et du Granier. Ainsi le cycle va générer la richesse permettant la recherche motorisée et la production de motocyclettes. En 1908, la boîte pédalier est accouplée au système de rétro directe (4 vitesses), permettant un vrai point mort. A qui revient exactement la paternité de ces résultats, nul ne le sait. Jules Magnat, constructeur de cycles et automobiles, et Louis Debon, président de la Manufacture Française de Bicyclettes s'associent. La marque devient Magnat & Debon au 69-71 du cours Saint-André à Grenoble. 1913 : Des dissensions amènent A Biboud à quitter Magnat-Debon alors sous la direction de A. Moser. Il devient capitaine des pompiers de la ville de Grenoble. 1918 : Pendant la 1ère Guerre Mondiale, A. Biboud étudie la possibilité de créer une usine de fabrication de cycles et de motocyclettes. Dans un premier temps, il rachète un commerce de cycles et s'installe à Vinay. 1920 : Antoine Biboud a dans l'idée de passer à la phase construction. Pour ce faire, il est contraint de venir s'établir dans la capitale des Alpes. Il achète un local rue Crépu, près de la gare de Grenoble, contenant un fond de cycles, devient grossiste, commercialise et répare des cycles Gladiator, des motocyclettes Clément, Indian, Moto Rêve et Triumph. 1924 : Il acquiert une maison rue Lackmann et un ancien terrain militaire dans le quartier des Iles. L'usine va sortir de terre au 44, rue Mortillet. |
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La dynastie Biboud |
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Antoine Biboud eut de nombreux enfants. Les Ets Libéria étaient l'archétype de l'entreprise familiale profondément ancrée dans le terroir dauphinois et gérée avec une poigne de fer par le patriarche du clan. Madame Camille Biboud, n'avait pas moins de 24 repas à servir à la table familiale où toute la tribu se rassemblait. A 14 ans, les jeunes Biboud mâles étaient mis en apprentissage sur les chaînes de montage. Tel a été le destin de Gérard Biboud, dernier Président Directeur Général des Ets Libéria jusqu'en 1996 et pour qui l'utilisation d'un tour, d'une fraiseuse, ou d'un poste à souder n'avait pas de secret. Antoine Biboud décède en avril 1955, et c'est Suzanne Biboud, la fille aînée, qui lui succède de fait, Jean devenant le directeur technique. Gérard n'ayant que 17 ans, Mme Biboud mère, tient à ce qu'il termine l'école libre d'apprentissage de Grenoble. Ensuite, Gérard partira en Suisse pour obtenir son diplôme d'ingénieur en mécanique des Arts et Métiers (mention très bien). Mais lorsque Mme Camille Biboud décède à son tour, le bloc familial commence à se fissurer, des dissensions se font jour, qui s'aggraveront avec les difficultés des dernières années de la firme. Lorsque Gérard Biboud accède à la direction, c'est Jean-Louis Bourin (petit-fils du fondateur et fils d'Antoine Bourin et de Suzanne Biboud) qui accède au poste de directeur commercial. Sans les moyens énormes dont disposaient les grands constructeurs tel que Peugeot, Motobécane ou Terrot, les Ets Libéria étaient des constructeurs qui emploieront cependant des ouvriers spécialisés (de 50 à 60, aux dire de Gérard Biboud). Certains étaient de véritables artistes, tel Robert d'Aloia et Pozzo, virtuoses de la soudure, ou bien Rippert ou Colombet chargés de peindre à la main les filets sur les réservoirs, les garde-boue et plus délicat encore, de décorer les cadres des vélos. On pouvait les voir, le matin, préparer leurs petits mélanges de couleurs pour la journée (le doré des réservoirs ou le noir profond des garde-boue), vérifier leur traînard (pinceau à poils longs en fourrure de blaireau), puis tracer à main levée et en un clin d'œil, leurs filets sur la pièce à décorer posée sur un socle et qu'ils faisaient tourner de la main gauche. Toute une époque, bien révolue. |
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1920 : Dans les tous premiers temps de l'existence de la firme grenobloise, un agent avait fait remarquer, non sans raison, que le nom "Biboud" n'était pas euphonique. Antoine décide d'adopter une autre raison sociale. En feuilletant un dictionnaire, il choisi le nom "Libéria" (note 1), nom qui sonnait bien et qui évoquait déjà l'évasion, le voyage. D'ailleurs le logo de la marque "d'azur au soleil d'or" reprend cette idée maîtresse, avec pour devise "The new superb". Toutefois Antoine Biboud ne pouvait présager que ce choix allait être source de problèmes quelques décennies plus tard. En effet, quand il s'agira d'exporter des vélos aux Etats-Unis d'Amérique, les importateurs demandèrent que les origines géographiques de la marque soient clairement spécifiées. Ainsi on précisa "Manufacture Française de cycles Libéria". La clientèle n'aurait peut être pas acheté de vélos fabriqués en Afrique ! La production de cycles démarre au 44 de la rue Mortillet. Au départ, les cadres des vélos étaient livrés par un sous-traitant, mais, insatisfait du travail fourni, A. Biboud décide vite de les construire lui-même. Des cadres garantis à vie (comme les montres Cartier !). Et cela n'était pas une clause de style : Gérard Biboud nous racontera qu'en 1991, un brave homme se présenta à l'usine avec un vélo qui avait au moins une quarantaine d'années et dont le cadre était bel et bien cassé. Il repartit avec un cadre neuf. Nous signalerons tout de même qu'Antoine Biboud est resté en excellent terme avec ses ex-employeurs puisque le début de sa société, on compte parmi ses fournisseurs : Magnat-Debon et les Ets Ricou, mais aussi, M. Apparcel et les Ets Riboud et Cie... |
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1 - Comme chacun sait, le Libéria est un pays d'Afrique Occidentale dont la création a été effectuée par la Société Américaine de Colonisation qui dès 1816, commence a y établir des esclaves noirs libérés (capitale Monrovia en l'honneur du Président Américain J. Monroe). On note aussi qu'Antoine Biboud ajoutera un accent à Libéria comme le confirment les catalogues et les réclames d'époque. |
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1945 : A la fin de la deuxième Guerre Mondiale, les marques Iser, Le Point d'Interrogation et Vedettes disparaissent doucement. Après le conflit si la réputation de la marque dans le domaine du cycle n'est plus à faire, dans celui des motocyclettes, elle reste à conquérir. En cette difficile période de reconstruction, les Français manquent cruellement de moyens de transport, et Libéria se lance véritablement dans la production des deux roues motorisés. Pour se faire, Antoine Biboud ne conserve plus que la marque Libéria et il créé la marque Vercors qui disparaîtra rapidement. Pour les cyclomoteurs, Antoine Biboud s'adresse à plusieurs motoristes, et nous y reviendrons plus loin. En ce qui concerne les vélomoteurs, au dessus de 125 cm3, et les motocyclettes, la maison Libéria acquiert des moteurs des Ets A.M.C. (8) pour les moteurs quatre temps à soupapes culbutées, et Ydral (9) et Sachs pour les moteurs deux temps. La gamme comprend des 125, 150, 175 cm3 et même quelques rares 250 cm3. Mais on peut constater que l'essentiel de la production des vélomoteurs et des motocyclettes Libéria est motorisée avec le moteur Ydral, à qui la firme de Grenoble doit l'essentiel de sa notoriété. Pour certain éléments, comme la selle ou le phare, Libéria fera appel à plusieurs fournisseurs pour pallier une éventuelle rupture de livraison. Ce qui fait que deux modèles identiques fabriqués à peu près au même moment pouvaient être équipés d'accessoires différents. Voilà qui peut intéresser les collectionneurs soucieux d'authenticité qui craignent de ne pas avoir le bon phare ou la selle qui convient. Les faisceaux électriques étaient étudiés par un sous-traitant, testés à l'usine puis livrés tout montés. Il ne restait qu'à les raccorder et à les fixer. A Biboud exportera ses créations à travers le monde, comme nous l'avons dit plus haut, et entre autres au Maroc, où une usine de montage sera construite ultérieurement à Casablanca et produira des cycles et des cyclomoteurs avec la concession des moteurs Sachs. A partir de cette date, et pendant toute la durée de l'aventure du deux roues motorisés, on peut considérer que le "décollage" des Etablissements Libéria s'opère. En effet, l'étude des bénéfices nets des exercices nous prouvent que ceux-ci ont été multipliés par 10 jusqu'en 1958, soit une moyenne annuelle de 720 000 francs. Après cette date, les bénéfices chuteront de façon notoire et les différentes diversifications opérées ne seront là que pour maintenir permettre à ces établissements de vivre sans grande fortune. |
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L'usine Libéria |
7 - Le Point d'Interrogation: pour cette dernière sous marque, Antoine Biboud rend hommage à l'exploit réalisé par Dieudonné Coste et Maurice Bellonte qui réussirent la première liaison transatlantique Paris - New York en avion les 1 et 2 septembre 1930. Le logo représente d'ailleurs un moteur en étoile à 5 cylindres avec une hélice horizontale et frappé d'un point d'interrogation. 8 - Ets A.M.C. (Atelier Mécanique du Centre), 1942-1960 : constructeur de moteurs, 9 rue Agrippa d'Aubigné à Clermont Ferrand. 9 - Ets Ydral, 1952-1962 : constructeur de moteurs à Suresne, à construit quelques motos pour la compétition. |
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1951 : Libéria produit de petits cyclomoteurs de 48 à 98 cm3 et, comme tout le monde, s'essaye aussi au scooter (présenté en octobre au Salon de Paris), qu'elle équipe d'un moteur Sachs de 98 cm3 à 2 vitesses. Il s'agit d'un engin bien profilé, "de style heureux" apprécie le journaliste de la revue Motocycle et Scooter. |
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1952 : Le premier moteur Ydral commandé par Libéria, un L45 de 125 cm3, arrive à Grenoble le 19 mars. Il équipe le type A.125. La partie cycle rigide est un semi-berceau en tube d'acier soudé et dédoublé sous le moteur. Le tube supérieur part de la douille de direction pour aller à l'axe de la roue arrière. La fourche télescopique est de marque Tiger (10). Le réservoir est chromé et peint chez Libéria. Il est en forme de goutte d'eau avec un bouchon à ouverture rapide de marque Motaz. Il contient 16 litres d'essence ou de mélange. La selle caoutchouc est à suspension spéciale (un ressort à tension réglable est précontraint par une mollette à main). Le bloc moteur Ydral L 45 à 4 vitesses par sélecteur au pied et à deux sorties d'échappement. Cette année là Libéria montera 21 Ydral, tous des L45. Ce n'est pas énorme... |
Les moteurs Sachs avaient le sélecteur à gauche et le frein arrière à droite, comme tous les moteurs allemands, tchèques... |
1953 : La gamme s'étoffe et, la partie cycle reste quasiment identique. Il est proposé un vélomoteur de 125 cm3 à bloc moteur AMC à 4 temps à soupapes en tête (culbutées) et boîte à 4 vitesses. Mais les vraies premières motocyclettes d'après guerre reçoivent soit un bloc moteur Ydral L49 de 175 cm3 (par extrapolation du 125 cm3) à 4 vitesses à sélecteur au pied : c'est le type V. 175 ; soit un bloc moteur Sachs de 150 cm3 toujours à 4 vitesses par sélecteur au pied : c'est le type S. 150 ; soit un bloc moteur AMC de 175 ou 250 cm3 (65 machines produites), 4 temps à soupapes culbutées et boîte 4 vitesses. Les motocyclettes équipées des moteurs autres qu'Ydral reçoivent un tout nouveau réservoir, plus rond, avec le passage des genoux évidé et chromé et un bouchon à ouverture rapide de type italien. La production des vélomoteurs et des motocyclettes Ydral s'élève à 85 exemplaires, sans compter les deux motos exposées au Salon de Paris. |
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1954 : Cette année Libéria abandonne le motoriste AMC. Le S.150 est toujours au catalogue. La firme de Suresnes, sort son nouveau moteur, l'Ydral AJ54 dernière évolution des types L. Libéria en achète 77. Puis le 17 septembre, elle reçoit le premier AJ55, dans sa première version, avec piston à bossage qui ne donnera pas toute satisfaction et ne sera construit qu'en peu d'exemplaires, bientôt remplacé par une évolution à piston plat qui équipera la majorité des vélomoteurs (type Y. 125) et des motocyclettes (type Y. 175). Il est facilement reconnaissable, car il n'a qu'un tube d'échappement, côté droit. La marque innove en proposant un nouveau scooter léger à grande roue dénommé Alouette. En fait, il s'agit plus d'un vélomoteur équipé d'un tablier de protection. On peut dire que la production des deux roues motorisés Libéria a atteint sa vitesse de croisière. Il sort de l'usine environ 2000 machines, dont les cyclomoteurs représentent plus de 50% de la fabrication. |
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1956 : Mais c'est le type Y de 1956 qui fut le " top modèle " des motos Libéria d'après guerre, jolie petite machine, de style italien, comme on se plaisait à dire à l'époque, avec son réservoir sport et son si typique cadre simple berceau en tube de section carrée (acier de 103 en 3 mm d'épaisseur - ce n'est pas beaucoup !). Ce cadre donna d'ailleurs quelques soucis lors de sa conception : il cassait ! L'essayeur de chez Libéria s'appelait M Rochette à l'époque. Il essayait les motos, sur de longues lignes droites à proximité de Grenoble. Un jour, il s'écria "j'ai trouvé ! Il faut courber le tube supérieur pour donner de la souplesse et cela ne cassera plus". En effet, après modification la partie cycle ne cassera plus et elle s'avèrera légère mais rigide. C'est ainsi que l'on travaillait, sans simulation par ordinateur, par tâtonnements, à l'intuition, et au péril de sa vie quelques fois. Imaginez la tête de l'essayeur quand le cadre cassait ! Le malheureux M Rochette devait d'ailleurs se tuer sur cette fameuse ligne droite, entre Allevard-les-Bains et La Rochette, un tracteur lui ayant coupé la route. Quand au magnifique petit réservoir à évidement qui personnalise si bien les Libéria, c'est une exclusivité de la marque. Une présérie de ce réservoir, ainsi que deux petits carénages arrières avait été exécutée par un carrossier Italien. Réservoirs et carénages étaient ensuite fabriqués d'après modèle par la firme Patriarca de Lyon. La partie cycle recevait toujours la fourche Tiger (deux modèles dont un, nous dirons "économique", réservée aux 125 cm3), une suspension arrière oscillante, deux caches latéraux dont l'un dissimule la boîte à outils (esthétique, mais pas très pratique car il fallait démonter ledit cache pour ouvrir la boîte à outils), une selle monoplace ou biplace de marque Aurora ou Bolland. La motorisation reste confiée à Ydral et Sachs. La ville de Grenoble commande aux Ets Libéria une motocyclette spécifique pour sa police. Ainsi, Libéria fournit une 125 cm3 du modèle de l'année. Les seules différences notables sont : sa livrée noire à filets blancs, et quelques accessoires (fourche de la 175 cm3, sacoches cuir, pare cylindre chromé, redresseur de tension protégé pour l'installation d'un poste radio...). En comparant la production de Libéria (qui reste stable à 2000 unités) au reste de la concurrence (par exemple, Motobécane avec 300 000 véhicules), la firme Grenobloise se classe au 9ème rang des constructeurs pour la commercialisation des vélomoteurs et des motocyclettes, soit 1,43% de la production nationale. C'est dire si la marque reste confidentielle. |
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1957 : Les vélomoteurs 125 cm3 et motocyclettes 175 cm3 à moteur Sachs et Ydral sont inchangés. Mais les Libéria équipées du moteur Ydral sont déclinées en version "Bol d'or", avec un garde-boue arrière muni d'emplacement pour d'éventuels numéros de course, un carénage coquille sur le phare, des moyeux Maxi double tambour à l'avant, une selle à dosseret type compétition et une super culasse de course de marque Maucourant (17). Les évidements des carénages latéraux et du réservoir sont chromés. Une superbe petite machine. Cette année, les Ets Ydral mettent au point un bloc moteur deux temps à cylindre horizontal et à 2 vitesses. En fait, il y a deux transmissions primaires et la boîte de vitesses a été supprimée, ce qui permet de réaliser une économie de 20 à 30 % sur les coûts de fabrication, car tel était le but de la manœuvre : commercialiser un moteur bon marché. Autour de ce moteur, Libéria réalise une nouvelle partie cycle. Les deux tubes inférieurs du cadre sont inclinés de la douille de direction jusqu'à l'axe du bras oscillant. Le moteur Ydral type H de 125 cm3 est fixé en porte à faux et est solidaire du bras oscillant. Il est de ce fait mobile et non suspendu. Ce vélomoteur sera accueilli très favorablement par la presse spécialisée qui se livrera à divers essais pointus dont les résultats seront jugés très concluants. Tel l'essai sur route ouverte sur une boucle Paris, Sens, Tonnerre, Châtillon sur Seine et Troyes, soit 461 km en 6h10, à la moyenne de 74, 7 km/h. Mais aussi l'essai de vitesse pure sur l'autodrome de Montlhéry (un anneau de 2548, 24 m) où la machine sera chronométrée à 95, 78 km/h, pilote couché et à 84,3 km/h pilote assis. Tout un luxe de précisions : pression atmosphérique de 754 hPa (18), vent de 3 à 5 m/s, sous une température de 15,3°C et une hygrométrie de 40% témoigne du sérieux des essais du magazine l'Auto-Journal. Les performances données par les essais de Moto-Revue sont sensiblement identiques (mais chez Moto-Revue on indiquait la taille et le poids de l'essayeur !). Les conclusions des deux revues sont également à peu près les mêmes : moto élégante et performante, mais freinage à revoir. Mais 95 km/h avec un 125 de 6,8 CV et deux rapports seulement ? On est en droit de se montrer dubitatif... Or, j'ai eu l'occasion d'essayer l'un de ces rarissimes Libéria type H et j'ai été véritablement surpris par la vivacité de ce petit engin. Gaston Durand, l'ingénieur d'Ydral, avait réussi des prodiges en matière d'élasticité moteur. Mais le changement de vitesses s'avéra défectueux à l'usage. Cette Libéria sortit au prix usine de 138 000 F et fut un échec commercial. Le vélomoteur léger équipé du bloc moteur Sachs de 100 cm3 à 3 vitesses bénéficiera de cette jolie partie cycle. |
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1958 : le hic, c'est que l'élégance et le cachet sportif, cela se paie. Au salon, une Libéria vaut entre 207 000 et 335 000 F, alors qu'une Peugeot 175 cm3 ne coûte que 157 600 F et avec 156 000 ou 207 000 F on s'offrait une Motobécane équipée d'un moteur à 4 temps soupapes en têtes. On avait toujours un agent d'une grande marque près de chez soi. Pour acquérir une Libéria, c'était moins simple... Ce qui fait que, bien souvent, on admirait la Libéria dans les pages du numéro du salon de Moto-Revue... Et on allait commander une Peugeot ou une Motobécane pour se rendre tous les jours à son travail. Les chroniqueurs motos ne faisaient d'ailleurs pas fi de l'aspect commercial et sous les éloges transparaissaient de sourdes inquiétudes "...l'allure est plaisante, mais la réalisation est certainement coûteuse...", "...le prix de ces jolis modèles n'est guère favorable au développement de la marque...". Diable, voilà qui ressemble fort à une mise en garde. La production des Ets Libéria est toujours axée sur le cycle, et celle des deux roues motorisés ne dépasse pas 1437 machines. Mais la riche gamme ne propose pas moins de 18 modèles : 9 cyclomoteurs, 5 vélomoteurs et 4 motos. |
17 - M Maucourant, vers 1957 : pilote de course et préparateur de motos, qui construisit des culasses de course adaptables. 18 - hPa (hectopascal) : unité de mesure le Pascal (Pa), 1 hPa = 100 hPa. On le mesure à l'aide d'un baromètre. Elle équivaut à la pression uniforme due à une force de 1 newton qui s'exerce perpendiculairement sur une surface plane de 1m2. Elle est surtout utilisée en aéronautique, car, l'altitude 0 se trouve au niveau de la mer et se situe à 1013 hPa. Une atmosphère est égale à un environ 1 bar, soit 105 Pa. |
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1959 : le marché de la motocyclette française de type
utilitaire est en perdition, mais les Ets Libéria sont un peu moins touchés
que d'autres par ces incidences. En effet, ils avaient judicieusement choisi
le créneau de la moto-plaisir en proposant des machines ludiques et sportives.
Malheureusement, Libéria est tributaire de ses sous-traitants, qui eux disparaissent.
On ne décourage pas facilement un Dauphinois, les Ets Libéria diversifient
leur production en fabriquant :
1960 : en cette année, on pouvait lire dans Moto-Revue "Libéria, qui est l'une des firmes les plus cotées ne sort que des cyclomoteurs, vélomoteurs et motos de hautes qualités techniques, qui se situent ainsi délibérément au dessus de la bataille des prix et des excès auxquels elle donne lieu.". C'est joliment dit, mais le journaliste arrivait un peu après la bataille : la moto française n'existait pour ainsi dire plus. 1963 : la dernière motocyclette Libéria, une 175 à moteur Ydral, est acquise par un facteur. Ce fut peut-être bien la dernière machine française vendue dans les années soixante. On peut estimer que la production des vélomoteurs 125 cm3 et motocyclettes 150 à 250 cm3 se situe aux alentours des 5000 unités. 1965 : les Ets Libéria se mettent à produire des véhicules d'entretien, balayeuses "Rapid 10, 15...", etc. qu'ils produisent pendant une dizaine d'années. Ceux-ci seront exportés en République Fédérale d'Allemagne entre autres. 1970 : la production de cyclomoteurs, avec un foisonnement de modèles qui témoignent encore de la créativité de la marque se poursuivra jusqu'à l'orée des années soixante-dix, avec, entre autres, un mignon cyclosport à fourche type Earles. Les établissements Libéria furent sans doute les premiers à fabriquer en France de ces jolis modèles sport à l'exemple des italiens. Passé cette décennie, Libéria continuera toujours à produire des deux roues motorisés et des tricycles à vocation utilitaire pour le commerce et l'industrie. 1986 : Arrêt définitif la production de deux roues motorisés. |
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La compétition |
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Des Libéria sur l'anneau : c'est dans la compétition qu'une firme peut le mieux exprimer son dynamisme et démontrer son savoir faire. Dans les années cinquante, ce n'est plus l'avis des "grands" constructeurs français qui non seulement s'abstenaient de s'aligner sur les pistes, mais manoeuvraient en coulisses pour faire interdire les courses motos par les pouvoirs publics. Les Européens et les japonais penseront différemment... Libéria fit partie de ces marques, aux moyens souvent limités, qui essayèrent de sauver l'honneur national. Genèse des Libéria du Bol d'Or : depuis 1947, des pilotes officiels Ydral participaient à la dure épreuve d'endurance du Bol d'Or, en association avec de petites marques comme Paul Vallée (19), Maucourant, Macquet (20), DS Malterre (21) ou AGF (22). En 1955 notamment, l'équipage Agache-Dagan, sur une AGF très spéciale, non seulement se classe en tête dans la catégorie 175 course mais aussi obtient une étonnante place de quatrième au classement général. Mais les motos que l'on a coutume d'appeler "Ydral d'usine" étaient le fruit du talent et du travail opiniâtre du seul Georges Agache, le responsable de la Station de Service Ydral, rue du Débarcadère à Paris. Et, chose qui paraît inconcevable, Georges Agache devait assurer lui même le financement de ses recherches. Tout au plus pouvait-il espérer voir ses frais remboursés, à la condition expresse que ses machines gagnent ! Ses compagnons de piste témoignent : "Toujours le premier au travail et le dernier à partir". Et d'évoquer ses longues soirées, tout seul devant son banc d'essais, dans l'inconfortable appentis aménagé sous l'anneau de Montlhéry. "Dés mon entrée chez Ydral, en 1950, je m'étais aperçu qu'il n'existait rien de valable, du moins pour la course, dans les machines utilisant les moteurs Ydral. Pour cette raison, j'ai dû continuer à faire des prototypes avec mon ami Marcel Vanoecke de Marcq-en-Bareuil, près de Lille, ma région d'origine". En effet avant son arrivée à Suresnes, Georges Agache avait déjà conçu d'intéressantes "spéciales". "La première réalisation fut la partie cycle présentée à la course de la côte Lapize (23) en 1952. Très jolie, très efficace, je l'ai conservée et utilisée pour les courses de côte pendant des années. Il y eut ensuite d'autres versions, puis le passage aux modèles avec suspension arrière et, fin 52, un premier double berceau, d'abord pour le 4 temps, double A.C.T. (24) puis pour les premiers Ydral à cylindre alu et échappement central. Ce qui m'amène à la partie cycle de modèle pour Libéria à qui j'ai donc fourni toutes les données. En particulier les pneus Pirelli de 17 pouces que j'utilisais depuis des années pour des raisons techniques évidentes". Les Ets Libéria avaient en effet décidé de fabriquer secrètement un cadre double berceau avec des roues de 17 pouces. Agache se déplaça plusieurs fois de Paris à Grenoble avec ses plans pour surveiller la mise en point de cette partie cycle préparée par MM Biboud et Rochette. En ce qui concerne les suspensions, toutes les fourches des prototypes avaient été, jusqu'en 1955, des fabrications Agache-Vanoecke. Elles étaient très légères et très rigides. Ensuite, les fourches furent sous-traitées en région parisienne, et réalisées sous les spécifications de Georges Agache. Pour les amortisseurs arrière, il avait passé un accord avec les amortisseurs Newton (dont il a gardé le contrat de "copyright ") ; ce système s'avéra excellent, performant et increvable, et fut conservé sans modification jusqu'à l'arrêt des compétitions chez Ydral, en 1959. Ce qui impressionna le plus les badauds, mais aussi les fils de M.G. Guignabodet, lors de l'exposition de Grenoble de 1998, c'est le carénage de la glorieuse Libéria N°49 de type "poubelle " (ce terme n'est absolument pas péjoratif). Ce fut encore une initiative personnelle de Georges Agache, sans budget de l'usine, sans décision de la direction, les factures n'étant remboursées qu'après validation de la réalisation. Il y travailla, au 20 rue du Débarcadère, avec les moyens du bord, le dimanche ou la nuit. Il y eut en fait trois évolutions. Pour la conception du n°1, la partie cycle fut bardée de profilés, délimitant les formes et les volumes. Lorsque tout sembla correct, G. Agache fit appel à un tôlier formeur qui, sur place, façonna la tôle de dural aux formes définies. Ce premier carénage fut celui du Bol d'Or 1956. Un second carénage fut réalisé dans les mêmes conditions, avec le même manque de moyens. Pourtant, ce deuxième modèle marquait un progrès dans la finesse aérodynamique. Il servit plus tard de modèle au n°3 façonné à Arpajon par M. Maguol, ancien de chez Kellner (25) et cette fois avec un financement de la firme Ydral. Les Libéria de course du Bol d'Or 1956 et 57 étaient animées par le moteur Ydral à cylindre alu chemisé et échappement central montés sur un bas moteur de série. Avec le carénage, le régime était de 7400 tr/mn pour une vitesse de 160 km/h, soit 21,6 km/h pour 1000 tr/mn. Toujours sur le même anneau de Monthléry, la machine nue, avec le même moteur, ne passait pas 130 km/h (ce n'est pas si mal) au même régime de 7400 tr/mn, soit 15, 56 km/h pour 1000 tr/mn. Voilà qui témoigne de l'efficacité du carénage. "Le test a été effectué plusieurs fois car cela étonnait tout le monde" se souvient Georges Agache, "y compris M Colibet, le chef de piste". |
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19 - Paul Vallée, 1949 - 1954 : constructeurs de vélomoteurs, scooters et motocyclettes au 59, rue Sadi Carnot à Aubervilliers. 20 - Macquet, 1951 - 1954 : constructeurs de vélomoteurs et motocyclettes. 21 - DS Malterre, 1922 - 1958 : constructeurs de motocyclettes au 13 rue Biscornet, puis 42 Bd de la Bastille à Paris XIIè. 22 - AGF, 1947 - 1954 : constructeurs de scooters, de vélomoteurs et de motocyclettes au 4 rue Hoche à Colombes. 23 - La course de la Côte Lapize : Organisée sur un tronçon du circuit routier de Linas - Montlhéry ouvrait la saison. On venait y tester les dernières réalisations. 24 - M.G. Agache a construit, sur la base Ydral, un moteur de compétition double arbre à cames en tête qui lui aurait permis de défier les machines de course italiennes, mais ses employeurs ne lui permettront pas de poursuivre ses essais. |
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La Libéria n°49 du Bol d'Or 1957. Au centre, entouré des membres du club YDRAL, Gilbert Guignabodet, vainqueur sur cette machine avec Georges Agache. |
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Mais cet exploit ne peut cacher la réalité : il y eut peu de machines d'usine à ce Bol d'Or car les grandes marques ne s'investissaient plus en compétition. Le public ayant déjà fait défection depuis quelques années, ne pourra hélas plus s'enthousiasmer en ne voyant courir pratiquement que des machines de série. "Point d'orgue et chant du cygne" comme le dira si justement Bernard Salvat, on ne reverra plus officiellement de motos Libéria en compétition. Et ne sous-estimons pas les succès obtenus dans des courses de côte ou des épreuves régionales par des coureurs locaux comme le Vizillois Louis Marmounier, Antoine Granda, Marcel Di Manno, Claude Desquatrevaux, Geneviève Legendre, etc. car acquis sur des machines pratiquement de série et ce, jusqu' en 1964. Et d'ailleurs, les Libéria n'ont pas tout à fait déserté les pistes : on peut encore en voir aujourd'hui, au milieu des motos japonaises, au départ de courses de côte du Championnat de Provence de la Montagne. C' est ainsi qu'entre 1992 et 1998, les motos grenobloises ont remporté 3 titres de Championne de Provence, 4 titres de Vice-Championne dans leurs catégories respectives. Et il n'y a pas de raison pour que ça s'arrête... |
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Palmarès des motos Libéria au championnat de Provence de la montagne |
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1992 - Jean Pierre Uffren, Champion de Provence catégorie175, 1er du Challenge Marander Pierre Astier, 3ème 1993 - Pierre Astier, 3ème catégorie 175, 1er du Challenge Marander 1994 - Pierre Astier, Champion de Provence catégorie 175 1995 - Pierre Astier, Vice-Champion de Provence catégorie 175 1996 - Pierre Astier, Champion de Provence catégorie175, 1er du Challenge Marander Jean Pierre Uffren, Vice-Champion de Provence catégorie175 1998 - Julien Dufetel, Vice-Champion de Provence catégorie125, Pierre Astier, Vice-Champion de Provence catégorie 250 |
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